Chapitre XX

Le roi Karlus se tenait dans son cabinet de travail du château de Fréquor. Depuis trois semaines déjà, il avait regagné sa capitale. Il n’y avait pas eu de combat car les Godommes s’étaient empressés de l’évacuer en apprenant que l’armée royale approchait. L’accueil de la population avait été d’autant plus chaleureux qu’elle voulait faire oublier qu’elle s’était rapidement soumise à Radjak.

Pour l’heure, en compagnie de Paul de Gallas, il écoutait un rapport du connétable.

— Les éclaireurs envoyés viennent de revenir. L’ennemi a évacué tout le territoire et a regagné son pays. J’ai envoyé un détachement pour occuper Pendarmor. Il faudrait songer à reconstruire la citadelle que notre ami Yvain a incendiée.

— Nous ne pouvons le lui reprocher dans la situation où il se trouvait et il avait la permission de la reine, ma mère.

— D’après mes renseignements, reprit de Gallas, le peuple ne regrette pas la disparition de Luzor. Son remplacement par un moine du cristal est apprécié car on sait leur désintéressement.

Un serviteur entra à cet instant. Il paraissait très agité.

— Votre Majesté, une ambassade godomme est à la porte du château et demande audience.

— Faites-la entrer immédiatement, dit Karlus en se levant.

Il gagna rapidement la cour et resta sur la dernière marche du perron tandis que Paul et le connétable l’encadraient. Yvain arriva à la tête d’une petite colonne escorté de Klut et de Xil, suivi des dix hommes qui constituaient sa garde personnelle.

Yvain s’inclina légèrement devant le roi et demanda :

— Sire, pouvez-vous ordonner qu’on serve des rafraîchissements à ces hommes et leur faire indiquer un appartement pendant que je sollicite un entretien.

— Paul va se charger de nos hôtes. Venez car je suis impatient de vous entendre.

*

* *

Priscilla pénétra dans le cabinet de travail de son frère. Elle tressaillit en voyant Yvain à côté du roi et les battements de son cœur s’accélérèrent.

— Vous m’avez fait mander, mon frère ?

— En effet. Une ambassade godomme vient d’arriver à Fréquor. J’ai décidé de signer avec leur nouveau Csar un traité de paix et d’amitié. Pour sceller cet accord, il me fait l’honneur de demander votre main. J’ai naturellement accepté de donner ce gage de bonne entente.

La princesse devint livide. Elle réussit à articuler entre ses mâchoires crispées :

— Je refuse ! C’est… C’est Yvain que je veux épouser.

— Bien, je prends acte de votre préférence mais c’est le Csar des Godommes que vous épouserez cependant.

Partagée entre le désespoir et la colère, Priscilla restait silencieuse. Toutefois, elle allait encore protester quand son frère ajouta ironiquement :

— Je crois avoir oublié de vous dire que messire d’Escarlat est le nouveau Csar des Godommes. Nous célébrerons votre union avant qu’il quitte Fréquor.

Cette fois, ce fut la joie qui le disputait à la colère. Elle jeta un regard furieux sur les deux hommes en lançant :

— Je vous demande l’autorisation de me retirer pour informer notre mère de vos projets pour le royaume.

Sans attendre de réponse, elle sortit en claquant la porte.

— Votre sœur, Yvain, lors de son mariage m’a dit que vous vouliez donner à Ian de Kumov une cravache. Je me demande si je ne devrais pas vous faire le même présent pour arriver à faire obéir la princesse.

— Je pense arriver à m’en passer, sourit le jeune homme.

Dans le couloir, Yvain croisa Paul.

— Tes amis Godommes sont bien installés et se reposent. En attendant le dîner que le roi donnera en ton honneur, viens dans mon appartement. J’y ai fait porter un pichet de vin.

— Comment se porte la charmante Sabrina ?

Une discrète rougeur envahit les joues de Paul.

— En remerciement de son travail, le roi l’a anoblie et maintenant elle partage son temps entre le père alchimiste et maître Arp qui semble aussi apprécier ses connaissances. Nous devrions nous marier bientôt. Enfin, j’espère qu’elle trouvera le temps de se rendre à la cérémonie.

Yvain gagna sa chambre en soupirant. Le repas avait été agréable et en partie consacré au travail. Le roi avait placé Klut à sa droite et ils avaient longuement discuté des termes du futur traité.

Il trouva Xil qui dit en riant :

— Je suis capitaine de vos gardes mais je n’oublie pas que j’ai été votre écuyer. J’ai pensé que vous auriez besoin d’aide pour enlever vos bottes.

Il officia rapidement puis demanda :

— Si vous n’avez plus besoin de moi, j’ai repéré une petite que ma prestance a subjuguée et j’ai promis de m’occuper sérieusement d’elle.

— Va, maintenant, tu n’as plus à craindre la colère d’un père indigné.

— Je frémis à l’idée que s’il m’avait attrapé, ce rustre aurait privé de mes faveurs nombre d’admiratrices. Quelle perte pour elles !

Yvain s’allongea sur le lit revoyant tout le chemin parcouru depuis son départ du castel familial. Il sourit en entendant le grincement de la porte qui livrait passage à la princesse. Elle était emmitouflée dans une longue cape.

Ses yeux brillaient quand elle dit d’une voix sèche :

— Mon frère et toi, vous vous êtes bien moqués de moi.

— C’était une idée du roi. Il voulait être certain que vous ne vous sacrifiez pas uniquement à la raison d’État.

Elle resta un instant silencieuse puis murmura :

— Si je dois devenir la reine des Godommes, je devrai m’habituer à leurs coutumes.

— Certes mais elles ne sont guère différentes des nôtres. Ils sont seulement un peu plus frustes.

Poursuivant son idée, elle ajouta :

— J’ai entendu dire que là-bas, les cérémonies sont très simples. On échange sa parole et on consomme tout de suite.

Elle rejeta sa cape et apparut entièrement nue. Elle se glissa dans le lit en murmurant :

— Autant profiter immédiatement de cette bonne habitude !

Tandis qu’Yvain la prenait dans ses bras, elle ajouta :

— Je crois savoir que le Csar dispose d’esclaves complaisantes.

— De simples servantes, murmura-t-il.

— C’est sans importance car je compte ne pas te laisser assez de forces pour t’occuper d’elles.

FIN